Il était une fois Haïti !

MIAMI, 15 Septembre – Le vendredi 11 septembre, pour débuter la mission du navire hôpital américain, USNS Comfort, à Carrefour, au sud de Port-au-Prince, l'ambassade des Etats-Unis avait invité quelques médecins cubains pratiquant dans le cadre de la mission médicale cubaine dans notre pays, ainsi que l'ambassadeur plénipotentiaire de la république de Cuba, Mr. Ricardo Garcia.
Mine de rien, c'était un grand jour parce que une scène impensable pendant plus d'un demi-siècle, depuis 1962 jusqu'à décembre 2014 lorsque les présidents des Etats-Unis, Barak Obama, et cubain, Raul Castro, ont annoncé leur décision réciproque de reprendre officiellement les relations diplomatiques entre ces deux redoutables ennemis de la Guerre froide ou confrontation militaro-idéologique qui a placé constamment le monde sous la menace nucléaire.
Haïti est l'un des rares pays tiers sinon le premier à jouer un tel rôle de facilitateur entre les deux ex-ennemis. En dehors du Vatican, bien sûr.

Un rôle de boite aux lettres ...
On pense que, avec de la chance, ce ne sera pas non plus la dernière fois, le rapprochement cubano-américain étant susceptible d'amener éventuellement des changements positifs dans la région.
Ce n'est pas la première fois non plus que Haïti aura joué un tel rôle de boite aux lettres entre nos deux importants voisins.
Ainsi le président René Préval nous raconta comment le président Bill Clinton s'est laissé aller un jour lors d'un sommet des chefs d'état du continent (lors moins Cuba) à exprimer une certaine admiration pour les résultats atteints par ce dernier dans le domaine de la santé publique et de la médecine préventive (mortalité infantile parmi les plus faibles au monde : 4,2 pour 1.000 ; 6,7 médecins pour 1.000 habitants alors que l'OMS se satisfait de 2,8). En même temps que la petite nation caribéenne a développé l'une des industries pharmaceutiques les plus dynamiques. Championne dans la fabrication des vaccins etc.
Evidemment Clinton souligna que ce n'est là qu'une appréciation personnelle mais qui ne doit pas fuiter à l'extérieur, sinon il serait obligé de démentir.
Mais il n'ignorait pas non plus les excellentes relations du président Préval avec les dirigeants de La Havane.

 

Au tour de Michel Martelly ...
Tout comme on voit aujourd'hui le président Michel Martelly offrir ses bons offices aux autorités vénézuéliennes en vue de la résolution de tel problème particulier avec un autre pays de la région.
Récemment c'est au palais national de Port-au-Prince que le chancelier vénézuélien rencontrait l'envoyé spécial du Département d'Etat américain, Mr. Thomas Shannon.
Après la fameuse déclaration réciproque du 17 décembre 2014 par laquelle les deux nations ont annoncé au monde leur intention de rapprochement mutuel (Washington et La Havane), le président Martelly s'est félicité d'avoir servi de courrier au vice-président Joe Biden auprès des dirigeants cubains.

'Prenez garde à ne pas être un jour l'Ethiopie d'un autre !' ...
Mais si un tel rôle peut surprendre aujourd'hui à cause de l'image négative que l'on projette (ou projetée par Haïti elle-même) dans le monde, ce ne fut pas toujours le cas.
Pas plus que ce n'est spécialement une conséquence de la pauvreté et des autres paramètres négatifs que nous alignons dans les statistiques annuelles du PNUD ou autres institutions internationales.
On aime à penser que Haïti a toujours été un paria. C'est par exemple l'opinion que veulent répandre nos voisins Dominicains. Egalement pour une bonne partie de nos nouvelles générations peu renseignées par leurs ainés.
Or point du tout. Nos intellectuels aiment à rappeler le rôle joué par nos diplomates dans la création de l'Organisation des Nations Unies, ou celle de l'Etat d'Israël ou pour prendre la défense de l'Ethiopie agressée par l'Italie de Mussolini pendant la Seconde guerre mondiale. 'Prenez garde à ne pas être un jour l'Ethiopie d'un autre !' Etc.

Hollywood et le mythe d'Haïti Chérie ...
Mais combien se rappellent l'engouement qui fut manifesté par Hollywood et combien celui-ci contribua au mythe d'Haïti Chérie, le mot mythe pris au sens de liberté d'inspiration chantant les louanges d'un sujet. Référence, la Guerre de Troie.
C'était les années 1940 au lendemain de l'occupation américaine d'Haïti (1915-1934).
Les conditions dans lesquelles prit fin cette dernière, et la résistance qui fut opposée par les Haïtiens prenant assise sur leur culture originelle (et si originale comme on l'a vu encore récemment au Carifesta), provoquèrent un remarquable changement dans l'image d'Haïti dans le monde. Et pour commencer aux Etats-Unis mêmes.
Le célèbre écrivain, dramaturge et scénariste, Truman Capote, qui passa quelques semaines dans notre pays (1948), décrivit Port-au-Prince depuis la fenêtre de l'hôtel Oloffson comme une peinture dont les couleurs changent au gré des nombreux épisodes historiques qui ont été vécus par cette ville et que Capote ne se prive pas de colorier lui aussi selon ses sentiments du moment : 'la baie aussi bleue et profonde qu'un fjord norvégien, les montagnes recouvertes d'une végétation extravagante du vert le plus somptueux ; l'île entière est d'un vert émeraude le plus délicat que traversent des bandes jaunes', supposément les routes lors en terre battue etc.

'La Maison des fleurs' ...
Un proverbe dit : le scandale est dans les yeux du scandalisé. On pourrait dire de même que l'objet admiré est dans les yeux de l'admirateur. N'est-ce pas.
Truman Capote est le scénariste du plus grand best seller cinématographique de l'époque « Breakfast at Tiffany's » (Déjeuner à Tiffany), et d'un roman-choc qui révolutionna le genre : 'Of cold blood' (De sang froid).
De son expérience haïtienne, il tira une pièce de théâtre avec supposément pour cadre un bordel sur la route de Carrefour, « House of Flowers' (La maison des fleurs) dont la première se déroula à Broadway en 1954, avec pour interprètes des personnalités qui avaient fait elles aussi leur pèlerinage à Port-au-Prince : Pearl Bailley, le futur grand chorégraphe Alvin Ailey.
On aurait pu rencontrer aussi dans la distribution une Katherine Dunham, la danseuse et chorégraphe afro-américaine à laquelle nous devons la propriété du même noms à Martissant et qui a dû inspirer à Truman Capote cette île enchanteresse qu'il décrit dans son roman « The Greener Grass » (l'île la plus verte).

Marylin Monroe ...
Comment ne pas se précipiter alors vers ce petit coin de paradis, à moins d'une heure de la Floride.
C'était comme si à l'époque aucun film hollywoodien ne pouvait remporter de succès s'il n'y avait une référence à Haïti. Quelque superficielle qu'elle soit ...
Marylin Monroe, dans un de ces rôles les plus réussis de 'bimbo' (ou fille sans beaucoup de cervelle), expliquant à son partenaire Yves Montand qu'elle ne dort pas quand elle pense aux difficultés des mamans haïtiennes pour envoyer leurs enfants à l'école. Le film s'appelle 'Let's make love.'
Mais il y a encore plus léger dans le genre comme 'Flying down to Rio' avec le fameux Fred Astaire où l'héroïne, en route pour le Brésil, fait un atterrissage forcé dans une île peuplée de cannibales mais ceux-ci pas méchants pour un sou.
Haïti, l'île enchantée et enchanteresse, le bon sauvage. Pauvre mais sympa ...
Et c'est cette image qui fera la fortune de notre tourisme dans les années 1950 et plus tard.
Puis, qu'est-ce qui a changé ?

'Once on this island' ... oui mais ...
Il est de bon ton aujourd'hui d'accuser l'étranger. On nous a toujours haïs ! Dessalines. 1804, etc.
Faux. Il y a eu autant d'étapes dans notre existence de nation que d'images envoyées à l'extérieur et à nous être ensuite revenues comme un boomerang.
Le principal tort reviendrait plutôt à nos élites qui ont joui de ces temps de rêve, des jours heureux (du temps où une chanson populaire disait : le riz est bon marché, c'est le temps de se marier !) sans penser à en assurer la relève.
La relève que seule pouvait assurer une population, toute une population, assez éduquée pour protéger ce qui constitua encore le titre d'une comédie musicale de Broadway, jusqu'aux années 1990, et inspirée encore d'Haïti : 'Once on this island', Il était une fois une île !
Mais il y a pire encore, c'est continuer aujourd'hui à ne rien faire. Que le sauve-qui-peut qui caractérise notre démarche individuelle. Et la doctrine pleins-les-poches de nos nouvelles élites politiques.

Marcus – Haïti en Marche