PORT-AU-PRINCE, samedi 2 août 2025 – Ce qui devait être une mission de soutien à la sécurité en Haïti s’est transformé en cauchemar. Miot Patrice Jacquet, vétéran de la marine américaine et responsable logistique pour Studebaker Defense, une entreprise militaire privée américaine, a été enlevé en décembre 2024 en Haïti. Depuis, lui et son cousin Steeve Duroseau, policier haïtien, sont portés disparus et sont « présumés morts », selon des sources policières haïtiennes de haut rang.
L’article, rédigé par Frances Robles, David C. Adams et André Paultre pour le New York Times, documente une opération chaotique de Studebaker Defense, dirigée par l’ex-général américain Wesley K. Clark, ancien commandant suprême de l’OTAN. L’article original est consultable ici : https://www.nytimes.com/2025/08/02/world/americas/haiti-studebaker-contractors-missing.html.
Engagée en septembre 2024 pour environ 150 000 dollars par mois par l’ancien Premier ministre Garry Conille — sans que la totalité du gouvernement haïtien ne soit informée — la société avait pour mission d’entraîner une unité spéciale de la police haïtienne à des standards internationaux. Selon Studebaker, son personnel a formé cette unité qui a permis la récupération d’armes et d’uniformes dans des zones tenues par les gangs. L’opération a même tenté, sans succès, de capturer un chef de gang notoire, Vitel’homme Innocent, pour lequel une récompense de 2 millions de dollars était offerte. Mais la tentative aurait fuité.
Les armes de type AR-15 assignées à l’équipe ont par la suite disparu. Selon la version officielle de Studebaker, ces équipements avaient été sécurisés et remis à leur interlocuteur désigné à la PNH. Mais d’après plusieurs sources policières haïtiennes, Miot Jacquet aurait temporairement stocké neuf fusils dans son SUV blindé BMW, garé chez lui, après la fin du bail de la villa louée pour les opérations. Il prévoyait de les restituer via son cousin policier, mais ce dernier a été enlevé le même jour que leur disparition. Le gardien de la maison, seul arrêté à ce jour, aurait été payé pour informer les ravisseurs de l’arrivée de Jacquet.
Selon l’enquête, Jacquet, qui avait servi à Guantánamo et dans la marine américaine pendant plusieurs années avant de travailler dans l’hôtellerie en Floride et à Port-au-Prince, n’a plus donné signe de vie depuis son enlèvement le 16 décembre 2024. Il aurait été intercepté par des hommes armés circulant dans un véhicule Toyota Land Cruiser offert à la PNH par le Département d’État américain, après être parti à la recherche de son cousin disparu. Son ami, qui l’accompagnait, a été blessé par balles mais a survécu.
L’affaire met en lumière les défaillances d’un partenariat entre un État fragilisé et une entreprise militaire privée dans un environnement corrompu. Des diplomates, responsables haïtiens et membres de la famille des victimes, cités sous anonymat par les journalistes, évoquent la possible implication de policiers haïtiens de haut rang dans l’enlèvement, en représailles à la tentative échouée contre Vitel’homme Innocent.
Le conseil présidentiel haïtien a ultérieurement accusé le Premier ministre Garry Conille d’avoir engagé Studebaker sans autorisation, entraînant son renvoi. L’entreprise a été priée de « suspendre ses opérations » deux mois seulement après son arrivée. Les relations entre les autorités haïtiennes et l’entreprise ont été rompues, sans plan de sortie clair.
Pour les familles des disparus, la responsabilité incombe à Studebaker. « Ils ont mené une opération bâclée », a dénoncé Isaac Jacquet, fils de Miot. « Ils auraient dû mieux sécuriser les armes », a renchéri Léon Charles, ancien chef de la police nationale et cousin de Miot. Il estime que les États-Unis devraient s’impliquer davantage, compte tenu du statut de citoyen américain de Jacquet et de sa participation à une mission officielle.
Le département d’État américain, qui a fourni près de 250 millions de dollars à la PNH depuis 2021, dont 159 véhicules, a reconnu que Haïti constituait un « environnement opérationnel complexe », soulignant que ses dons sont soumis à des contrôles stricts. Mais les experts, comme William O’Neill, rapporteur spécial des Nations Unies pour Haïti, relèvent un problème plus fondamental : « Il est extrêmement difficile de tenir ces entreprises de sécurité privées responsables de leurs actes ».
Studebaker, de son côté, affirme que son personnel a agi de façon professionnelle et rejette toute responsabilité. « Nous défendons l’intégrité de notre mission et la conduite irréprochable de notre personnel », a indiqué la société dans un communiqué.
Mais pour les proches de Jacquet et Duroseau, la vérité reste à découvrir. Aucun des deux hommes n’a été retrouvé à ce jour. Les familles continuent de demander justice, tandis que le silence des autorités haïtiennes laisse planer un doute inquiétant sur la capacité de l’État à protéger ses citoyens et à gérer les conséquences de l’externalisation de la sécurité à des acteurs privés.