La Rédaction - 13 septembre 2025
La justice haïtienne, par la voix du magistrat Roosevelt Cadet, commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, a annoncé la tenue, dès le lundi 15 septembre, des assises criminelles sans assistance de jury. Une nouvelle qui en réjouit plus d’un.
Depuis plusieurs années, les assises criminelles se faisaient rares en Haïti, paralysées par l’insécurité, le manque de moyens financiers et les difficultés logistiques. L’annonce du commissaire Roosevelt Cadet marque, donc, un tournant, attendu dans le fonctionnement du système judiciaire haïtien, miné par la surpopulation carcérale et la détention préventive prolongée.
Ces assises permettront de juger un certain nombre de dossiers criminels accumulés, offrant ainsi à de nombreux détenus la possibilité d’être, enfin, fixés sur leur sort.
C’est quoi sans assistance de jury ?
C’est une audience devant un tribunal composé uniquement de magistrats, qui juge des affaires criminelles graves. Ce type de procès notamment en Haïti, vise à accélérer la justice et à résorber la surpopulation carcérale en jugeant plus d’affaires criminelles.
Ce que confirme l’ancien commissaire du gouvernement, Paul Éronce Villard, professeur d’université, interrogé par notre rédaction. Me. Villard a rappelé la composition et le rôle central de ce type de tribunal.
« Lorsque le procès se déroule sans jury, le commissaire du gouvernement représente la société dans les procès. C’est lui qui poursuit tous les criminels; et les crimes qu’il défendra viseront à exiger l’application de la loi et à les prendre comme exemple afin que d’autres ne commettent pas les mêmes crimes », avance Me Villard, comme un postulat.
Aux côtés du commissaire, se retrouvent les avocats de la défense, le président du tribunal, choisi par le doyen, et éventuellement la partie civile, lorsqu’une victime réclame dommages et intérêts.
La formule « sans assistance de jury », selon Villard, présente l’avantage de la rapidité. Cela permet de traiter davantage de dossiers en un temps réduit, contrairement aux procès avec jury, plus lourds et plus médiatisés.
Équilibre du tribunal
Mais l’ancien chef du parquet met en garde : « L’un des plus grands risques, c’est l’impartialité du juge. Si les magistrats ne sont pas impartiaux, s’ils ne sont pas éthiques, c’est un grand risque pour l’accusé, car il est toujours présumé innocent jusqu’à ce que la décision finale soit rendue. »
L’équilibre entre efficacité et garanties judiciaires demeure donc un enjeu crucial pour la crédibilité de ces assises.
Des défis encore à surmonter
Au-delà des aspects juridiques, l’organisation d’une assise criminelle reste un défi logistique et financier. Comme l’explique Villard, l’État doit assurer le transport des détenus, leur alimentation, la sécurité des lieux, l’hébergement du personnel mobilisé, sans oublier l’approvisionnement en carburant pour le fonctionnement du tribunal.
Trop souvent, les fonds ne sont pas disponibles à temps, entraînant des reports ou des annulations. À cela s’ajoute le problème récurrent du manque d’espaces adaptés, le tribunal de Port-au-Prince fonctionnant dans des locaux exigus et mal équipés.
Mais pour l’ancien commissaire, au-delà des contraintes, ces assises représentent « un moment pour montrer la compétence du parquet » et surtout une étape indispensable dans la lutte contre la détention préventive prolongée, fléau majeur du système carcéral haïtien. « La prison est réservée aux condamnés, mais aujourd’hui, près de 90 % de ceux qui y sont emprisonnés ne sont pas condamnés », déplore-t-il.
L’organisation régulière des assises criminelles, même sans jury, apparaît ainsi comme une nécessité pour restaurer un minimum de justice et d’équilibre social.
Reste que le véritable défi dépasse le cadre de ces audiences. Comme le souligne Me. Villard, le problème central demeure la confiance de la population : « Le plus gros problème du système judiciaire haïtien, c’est la confiance. La population ne lui fait pas confiance. Mais s’ils constatent qu’il n’y a pas de parti pris, que les coupables sont condamnés et les innocents libérés, alors la justice pourra reprendre toute sa valeur. »
En ce sens, l’initiative de Roosevelt Cadet, bien qu’imparfaite et contrainte, est perçue comme un signal positif : une justice qui tente, malgré les obstacles, de répondre à ses obligations envers les citoyens.