Louis-Samuel Perron La Presse - Villes envahies par des gangs, enlèvements, attaques armées : la situation en Haïti est si dangereuse qu’un diplomate haïtien accusé d’avoir violenté une femme ne peut revenir à Montréal pour son procès. Il a été acquitté à la mi-juin.
Ange-Marie Raton, un ex-Lavallois de 51 ans, a été vice-consul au Consulat général de la République d’Haïti à Montréal de février 2016 à juin 2024. Il a été rapatrié en Haïti l’an dernier, quelques semaines après avoir été accusé de voies de fait à l’égard d’une femme.
On lui reprochait d’avoir frappé la plaignante, alors qu’elle tentait de le filmer, au domicile consulaire de l’accusé, à Montréal, en janvier 2024. Une ordonnance du tribunal protège l’identité de la victime. Nous devons ainsi omettre certains détails de l’affaire.
« Il a frappé mon téléphone pour qu’il tombe au sol. Il m’a ensuite frappée plusieurs fois au niveau du corps. J’ai dû me défendre. Il m’a frappée avec ses poings fermés », a déclaré la plaignante aux policiers, selon un document judiciaire.
« Je crains pour ma vie et pour ma sécurité. […] J’ai peur que s’il apprend que je suis allée voir la police, la gravité des gestes violents empire », a-t-elle dit aux policiers.
Pendant le processus judiciaire, l’avocat d’Ange-Marie Raton a cité l’immunité diplomatique de son client afin de convaincre le tribunal d’annuler les accusations criminelles1.
Selon la défense, la résidence de M. Raton était « inviolable » et représentait le « prolongement » d’Haïti.
De plus, la défense faisait valoir que les coups allégués auraient été donnés par l’accusé dans le cadre de ses « fonctions consulaires », puisque la plaignante tentait de prendre des images de dossiers consulaires avec son téléphone.
« Il est manifeste que l’infliction de voies de fait contre une femme n’est pas une “fonction consulaire” », a répliqué le procureur de la Couronne, Me Christopher H. Chartrand, dans sa réponse écrite.
Selon la Couronne, la résidence d’un consul n’est pas l’extension de son pays d’origine. Ainsi, l’accusé ne pouvait se soustraire aux accusations pour cette raison.
Une ville encerclée par des gangs
Mais ce long débat sur l’immunité diplomatique a finalement été évité.
Car Ange-Marie Raton a accepté le 13 juin dernier de signer une ordonnance de type « 810 ». Il a ainsi reconnu que la plaignante avait eu des raisons de craindre pour sa sécurité en janvier 2024 et « encore à ce jour ».
M. Raton s’est engagé à ne pas contacter la victime et à ne pas troubler l’ordre public pendant un an. La juge Karine Giguère l’a acquitté du chef de voies de fait.
Normalement, un accusé doit être présent en personne pour signer un tel engagement. La défense a toutefois convaincu le tribunal qu’il était impossible pour M. Raton de revenir au Canada « sans se faire tuer par les gangs armés en Haïti ». Il a donc assisté à l’audience par visioconférence.
Dans sa requête, Me Alain Polynice explique que son client habite à Petit-Goâve, dans le sud-ouest du pays. La ville est complètement encerclée par des gangs armés.
Pour se rendre à l’aéroport, ou à la capitale Port-au-Prince, il devrait traverser des zones contrôlées par des gangs « où les enlèvements et attaques armées sont fréquents », poursuit-il.
À la dernière audience, Me Polynice a réclamé à la juge une ordonnance de non-publication visant l’identité de M. Raton.
« Monsieur est très connu dans son pays. Il est diplomate », a-t-il plaidé. Un autre argument soulevé ne peut toutefois être révélé.
La juge a refusé sa demande.