MIAMI, 21 Juin – Dictature du palais ou dictature de la rue on aura donc expérimenté les deux. On aura tout connu. Et tout supporté.
La dictature duvaliériste de trente ans (1957-1986), ce qui ne veut pas dire que c’était la première … ni donc la dernière ( ? ).
Mais jamais la différence n’aura été aussi marquée entre ce qu’est la dictature exercée par le pouvoir dit personnel, et ce que nous vivons en ce moment.
Appelons-le, dictature de la rue. Car à ne pas confondre avec ce qu’on dénomme ‘dictature populaire’ et qui sert à qualifier les pouvoirs d’essence communiste.
Donc dictature du palais ou pouvoir personnel, c’est-à-dire exercée par une seule personne, dont l’exemple le plus typique c’est le régime Duvalier d’un côté, et de l’autre côté ce que nous subissons actuellement qu’on pourrait appeler la dictature de la rue, sauf que la rue elle-même en est la première victime. Hier on rapportait le kidnapping d’une marchande de ‘griot’ (fritures) au coin d’une rue, on y perd son latin.
Faisons donc, si l’on peut, un parallèle entre les deux.
La dictature personnelle, exercée par le pouvoir en place (pas le pouvoir actuel qui d’abord ne correspond pas à la vraie notion de pouvoir, c’est évident) mais quand c’est l’occupant du palais qui se transforme en dictateur comme on l’a vécu pendant trente ans, le citoyen n’a aucune liberté ni aucun droit que celui que lui consent ce pouvoir-là.
Par exemple, impossible de circuler librement à l’intérieur du pays. A chaque entrée ou sortie de la ville ou de la commune, il faut s’arrêter pour s’identifier au poste de police.
Voire pour voyager à l’étranger. Il faut un visa de sortie. Et seul le tyran ou son service d’espionnage qui le délivre.
Un couvre-feu peut être déclaré à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ; ensuite c’est le palais qui nomme et révoque et pas seulement dans l’Etat mais aussi dans le privé par le jeu des influences ; par conséquent votre vie même se trouve aux mains de ce pouvoir tyrannique et qui pis est : Fort Dimanche, la prison politique est pleine à craquer … et l’on fusille chaque nuit dans les ‘bayahondes’ derrière cette Bastille.
Peut-on donc imaginer pire cauchemar ?
Or voyons voir. Actuellement est-ce que votre vie est mieux protégée ?
Est-ce que votre enfant arrive à l’école sans difficulté ?
Est-ce que vous êtes plus certain de garder votre emploi quand tous les établissements industriels ou autres sont obligés de fermer les uns après les autres par peur du kidnapping ?
Qui plus est, des gangs lourdement armés qui tuent en plein jour, tentatives de kidnapping ou pas ?
De plus est-ce que la quantité de boat-people qui tentent de fuir ce pays maudit est moins qu’en ce temps-là ?
Oui réfléchissons donc.
La dictature (‘rayi chen di dan l blan’) sa spécialité c’est l’ordre.
Ce qu’on appelle l’ordre public. Ou en créole ‘plim ne gouy’.
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MIAMI, 10 Juin – Sommet des Amériques, connais pas! Posez la question aussi bien en Haïti qu’aux Etats-Unis.
A Port-au-Prince sur une quinzaine de personnes interrogées par l’agence d’informations Haïti-Standard, pas plus de 3 qui ‘étaient assez informées’, 4 avaient entendu mentionner ‘Sommet des Amériques’ mais n’étaient pas en mesure d’expliquer ce que c’est.
Pourtant jamais l’Haïtien n’avait peut-être été aussi à l’écoute de l’actualité. D’abord à cause de l’insécurité qui fait chaque jour des victimes au sein de la population. A tous les niveaux. Ce mercredi 8 juin-là, on venait d’enlever l’épouse du cinéaste Arnold Antonin (relâchée entre-temps contre rançon, selon les médias) ainsi que deux ressortissants belges.
Donc cette méconnaissance de l’événement pour lequel le chef du gouvernement haïtien Dr. Ariel Henry a voyagé aux Etats-Unis depuis le week-end précédent, ne peut s’expliquer que par un défaut de communication d’abord de la part de l’Etat, qui s’est contenté de quelques annonces lapidaires mais sans rien sur la signification réelle de l’événement, cela malgré le déplacement d’une forte délégation ministérielle ; tout comme par un traitement trop partiel (ou partial !) de l’actualité par les médias locaux.
La même semaine les grands titres concernaient particulièrement un vif désaccord entre le grand public et des défenseurs des droits humains.
Ces derniers souhaitent l’intervention de la justice contre au moins deux commissaires du gouvernement (des villes de Miragoane et Les Cayes) qui veulent flinguer tout bandit qui tombe entre leurs mains cela sans autre forme de procès (‘Se Depoze oswa Repoze’ : c’est-à-dire déposez vos armes ou bien vous mourrez !), alors que dans un mouvement de ras le bol contre le fléau du kidnapping, la grande masse est pour l’exécution immédiate de tout présumé bandit attrapé.
Au risque de commettre des erreurs judiciaires !
Pour le moment la justice officielle évite soigneusement de se prononcer.
Parmi les interlocuteurs de Haïti-Standard les plus informés sont des étudiants des universités publique et privées ainsi que les ‘discoureurs’ habituels du Champ-de-Mars, principale place publique de la capitale haïtienne et dénommée à juste titre ‘l’université du peuple’.
Selon eux, le peuple haïtien n’a pas le temps pour aucun Sommet machin ! alors que, outre l’insécurité, outre la panne générale d’électricité parfois durant plusieurs jours d’affilée, les stations d’essence sont la même semaine presque toutes fermées.
De toutes façons à part une note de presse annonçant le départ pour les Etats-Unis de la délégation officielle, le gouvernement n’a tenu aucun briefing à ce sujet.
La mode est de se référer aux déclarations sur leur compte Twitter par les officiels eux-mêmes.
La fonction de porte-parole gouvernemental n’ayant plus cours en Haïti on ne sait trop pourquoi.
Pingrerie !
Il n’y a qu’une Amérique, c’est les Etats-Unis. Pourquoi on dit, n’est-ce pas : les Etats-Unis d’Amérique ! …
Pas un mot non plus de la part de ladite communauté internationale, ce qui devrait être à cette occasion la responsabilité de l’OEA (Organisation des Etats Américains) ayant un bureau officiel en Haïti.
MIAMI, 7 Juin – Le Sommet des Amériques, qui a débuté officiellement lundi, entre ce mercredi, 8 juin 2022, dans sa phase concrète avec rencontre des principales délégations en majorité conduites par le numéro 1 des pays invités, président ou premier ministre.
Celle d’Haïti sous la houlette du premier ministre par interim Dr. Ariel Henry.
Mais tout de suite c’est une grande déception pour l’administration américaine avec le refus de participation au sommet par le président du Mexique Andres Manuel Lopez Obrador pour protester contre la décision par Washington de ne pas inviter le Venezuela, le Nicaragua et Cuba parce que ces pays « ne respectent pas les libertés démocratiques. »
Le choc est encore plus dur que la Maison blanche a tenté de lâcher du lest : c’est la levée soudaine des restrictions pesant sur les voyages à Cuba ainsi que sur les transferts ; ainsi que de l’embargo sur le pétrole vénézuélien, ouvrant de nouveau à ce dernier le marché américain et international …
Mais AMLO (surnom du président du Mexique) persiste et signe. Il ne vient pas à Los Angeles, mais il rencontrera, promet-il, Biden seul à seul dans un mois à la Maison Blanche.
Quel est alors le programme pour les dirigeants qui se rencontrent cette semaine au Sommet des Amériques ?
La parole est à l’hôte principal.
« Selon le principal conseiller à la Maison blanche pour l’Amérique latine, Juan Gonzalez, le président Biden va profiter du Sommet pour faire des annonces sur la coopération économique et la lutte contre la pandémie (Covid) ainsi que contre les changements climatiques. »
Le président américain, qui se rend ce mercredi à Los Angeles, « espère aussi conclure un accord de coopération régionale sur un sujet potentiellement explosif et qui lui vaut de violentes critiques de l’opposition républicaine : l’immigration, un enjeu majeur de politique intérieure à l’approche des élections (américaines) dites de mi-mandat » en novembre prochain.
C’est ici que la participation d’Haïti au Sommet entre en jeu. Jamais (comme on sait surtout par le nombre de rapatriements opérés chaque jour depuis les Etats-Unis à l’aéroport de Port-au-Prince ou du Cap-Haïtien) autant de nos compatriotes n’avaient risqué leur vie pour parvenir aux Etats-Unis, en mer ou par la frontière avec le Mexique, cela depuis au moins trente ans.
Et aujourd’hui c’est pour être impitoyablement et immanquablement refoulés sans conditions à leur point de départ. Les vols de rapatriement en Haïti sont quotidiens.
D’un côté le président Biden renie une promesse électorale de mener une politique d’immigration ‘plus humaine’ que son prédécesseur et rival républicain Donald Trump.
De l’autre, comment faire passer la thèse avancée aujourd’hui par la Maison blanche pour une approche (disons) ‘globale’ de la question d’immigration, à savoir que ses vraies causes sont économiques ?
On découvre une autre Haïti !
PORT-AU-PRINCE, 20 Mai – Il existe encore dans notre pays de belles cartes postales. C’est le cas dans les hauteurs dominant la capitale et pas totalement détruites par l’érosion qu’on le dit. Malheureusement pour le découvrir il faut qu’il arrive un grand malheur comme les gangs qui tiennent en otage la sortie sud de Port-au-Prince (Martissant). Ce sont principalement ceux de Village de Dieu, de Grand Ravine et Ti Bois. On les dit en concurrence mais sur le fond tous ligués pour barrer le passage aux citoyens normaux et rançonner aussi bien véhicules que piétons qui s’aventurent dans ce périmètre.
Le mercredi 18 mai je rageais de ne pouvoir, de retour à la capitale, laissant Mariani pour prendre la Route des Rails, accomplir les quelques 15 minutes qui restent pour arriver à destination sans devoir nous lancer à travers bois afin d’éviter les gangs qui tiennent en otage la seule entrée normale : Martissant.
A Diquini, peu après Carrefour (chef-lieu de la commune), on s’engage par une route étroite et apparemment à peine aménagée, une longue montée poussiéreuse cependant déjà largement habitée et image de la surpopulation qui étrangle la capitale Port-au-Prince de tous les côtés …
Puis soudain, du vert partout. La montagne. ‘Aprè mòn genyen mòn.’ Un autre monde, et qui n’est troublé que par le grondement des taxi-motos qui sont le principal moyen aujourd’hui de transport en commun.
Le chemin devient soudain aussi plus large, en terre battue mais assez fraichement aménagé, donc là pour durer.
Par conséquent les pouvoirs publics, bref l’Etat s’est fait aussi une raison : le phénomène gang ne va pas forcément disparaitre de sitôt.
Tout ici appartiendrait à une seule personne. Il a pour nom ou plutôt un prénom, Toto ...
Cependant on ne peut ne pas s’étonner que ce coin semble moins reproduire le schéma traditionnel du pays dévoré jusqu’aux entrailles par le phénomène de l’érosion alliée à la surpopulation.
Jovenel est déjà un demi-dieu …
MEYER, 10 Mai – Selon la tradition haïtienne de toujours sanctifier les disparus pour ne pas dire : les absents ont toujours raison (!), on commence à créer une nouvelle image du défunt président Jovenel Moïse, assassiné dans sa résidence le 7 juillet 2021 sans (exceptionnellement) rien ni personne pour lui porter secours. Mort seul dans sa peau. Et pourtant voici que c’est une image de ‘papa bon cœur’ qui de plus en plus se dessine à son sujet.
Nous sommes à Jacmel, chef-lieu du Sud-est où le président Jovenel Moïse avait tant de mécontentement contre lui qu’il avait dû faire atterrir son hélicoptère dans le lit de la rivière pour ne pas encourir de difficultés au moment de son départ.
Pourtant aujourd’hui on se souvient que sous son administration un nouveau système d’adduction d’eau potable à domicile, y compris dans les faubourgs nouvellement construits (Meyer etc), était créé qui, justement, ne fonctionne déjà plus … afin que bien entendu les distributeurs privés par camion puissent recommencer à avoir le monopole.
Idem pour l’électricité.
Tandis que pour raison salariale, la voirie est absente et les rues souvent transformées en poubelles.
Etc.
Jovenel Moïse est donc déjà passé à l’Histoire … avec un grand H.
Il en est ainsi en Haïti. Des présidents de la république comme de n’importe qui. Vivant vous faites de l’ombre. Décédé, ouf !
Mais seuls les présidents qui ont ce privilège d’avoir accès immédiatement à l’Olympe.
Chez nous les absents ont toujours … raison. Mais vous aurez l’obligeance de mourir d’abord, n’est-ce pas ! …
Interrogeant dans son exil new-yorkais l’ex-président général Paul Eugène Magloire et le tombeur du président Dumarsais Estimé, il nous présenta ce dernier comme s’il avait été sur le point de devenir un Papa Doc avant la lettre … lorsque l’armée décida de le renverser.
Outre que le futur dictateur à vie, François Duvalier, était déjà un membre éminent du gouvernement Estimé.
Cependant aujourd’hui le président Estimé est porté plus qu’aux nues mais au panthéon vodou (‘Papa Gede bèl gason’) siégeant aux côtés du fondateur de la nation, Jean-Jacques Dessalines qui fut lui aussi assassiné, avant d’être déifié.
Tandis qu’aujourd’hui même le terrible Papa Doc, assassin de plusieurs milliers que comme Néron aux fauves dans les jeux de cirque, il a livré à ses monstres de Fort Dimanche-Fort La Mort, même Duvalier père qui prend de nouvelles couleurs avec l’actualité des gangs armés qui kidnappent et tuent et ont plongé le pays dans un cauchemar total.
Ah, entend-on partout, vivement Papa Doc !
Eh bien oui, chez nous les absents ont toujours … raison. Mais vous aurez l’obligeance de mourir d’abord, n’est-ce pas !
Voire sans personne pour voler à votre secours comme le président Jovenel Moïse. La trahison suprême.
Dès lors aussi vous êtes digne d’un héros de Shakespeare.
Digne des plus profondes interrogations du genre : Qui t’a fait roi ?
Tout de suite des doigts accusateurs se tendent vers ces derniers. Jovenel s’est-il rebellé contre ceux-là, qui en réaction auraient ourdi l’attentat de la nuit du 6 au 7 juillet 2021 ?
Cependant la grande tragédie n’est jamais à une interprétation près. Comme par exemple encore celle-ci : ‘La suffisance comme l’orgueil va au-devant de la destruction et l’esprit supérieur n’est jamais loin de la chute.’