MEYER, 8 Août – A la capitale comme en province, à la ville comme à la cour, des bandes carnavalesques sillonnent les rues et routes du pays. C'est la campagne des élections 2015.
Fini le temps des messages soigneusement calculés et longues démonstrations voulant faire la preuve d'une alternative viable aux politiques en place, la campagne électorale aujourd'hui ce sont les 3 T : tambours, trompettes ... et tafia.
Les rues de Port-de-Prince et aussi de Pétionville (banlieue plus aisée) sont du coup transformées en bastringue ambulant. Et la campagne leur fait écho.
Mais la foule n'est pas comme au carnaval traditionnel ni au 'raras' (carnaval rural) où la majorité des participants appartient aux classes populaires, des petits bourgeois descendent aussi sur le macadam pour faire la promotion de leurs candidats. C'est normalement eux les organisateurs.
Pantalon au bas des fesses ...
Alors que l'actualité est dominée par la conduite jugée scandaleuse du président de la République, Michel Martelly, qui lors d'une prestation publique pour accompagner les candidats aux législatives de son parti (PHTK – Parti Haïtien Tèt Kale) a utilisé les termes les plus vulgaires pour répondre à une dame questionnant sa gestion dans la commune (en l'occurrence Miragoane, dans les Nippes, Sud) à la grande joie de son public composé presque en majorité de Teenagers mâles à pantalon au bas des fesses et plus réceptifs à ce genre de discours à relent macho.
Mais le président ne fait que suivre la tendance générale : c'est toute la campagne électorale qui vole aussi bas. C'est la banalisation la plus totale du fait politique. Sauf que le pouvoir en place ne pense qu'à en tirer parti (et il ne s'en cache pas, d'où les faits scandaleux survenus à Miragoane !) au lieu d'essayer d'améliorer la situation, de ralentir la dégradation.
JACMEL, 15 Août – Le festival Carifesta c'est le week-end prochain, 21 au 30 Août. A partir de vendredi prochain, Haïti sera sous le regard du monde entier. Comme on l'a été le 9 Août dernier, jour de nos législatives à problèmes mais différemment, parce que nous devons et nous pouvons faire mieux.
Carifesta est une fête qui réunit toute la Caraïbe et dont la réalisation a été confiée cette année à Haïti.
Carifesta XII, c'est-à-dire le 12e festival du nom. A la vérité c'est Haïti qui s'est proposée. A la manière Martelly. Le président Michel Martelly accompagnait la délégation haïtienne lors du dernier festival qui s'est tenu à Paramaribo (Surinam) en Août 2013. Emballé par le succès de la délégation haïtienne, Michel Martelly a pris l'engagement qu'Haïti organisera cette rencontre internationale des arts et de la culture Caribéenne en Août 2015.
Il a reçu le bâton honorifique des mains du président surinamien Desi Bouterse, le dimanche 25 Août 2013. Trop tard pour faire marche arrière. Ce n'est pas Martelly qui est engagé. C'est Haïti.
Nos troubles politiques font peur ...
Et pourtant deux ans plus tard, tout a failli capoter. A cause des problèmes politiques entre autres du tandem Martelly-Lamothe. Le premier ministre Laurent Lamothe, avec qui tout paraissait possible lors, est devenu aujourd'hui pour la présidence celui par qui le scandale arrive. Lamothe, un prétendant à la succession du pouvoir en place, a été forcé à la démission en décembre dernier. Mais le pouvoir Martelly a des difficultés à s'en remettre. L'économie est pratiquement à zéro. Le Carifesta entraine des dépenses importantes. L'Etat haïtien a mobilisé 300 millions de gourdes (quelque 6 millions de dollars américains). Les autres nations caribéennes doivent apporter leur quotepart mais la crise économique tape dur dans la région.
PORT-AU-PRINCE, 27 Août – L'agression armée contre l'ex-chef de la police nationale d'Haïti (PNH), Jean Nesly Lucien, renvoie à nouveau à l'expression de Narco-Etat.
L'époque où Haïti a failli devenir un narco-Etat, c'est-à-dire un pays dirigé par des trafiquants de drogue.
L'ancien directeur général de la PNH, Jean Nesly Lucien, a été victime de bandits armés qui ont ouvert le feu sur le véhicule qu'il conduisait, le mercredi 26 août écoulé, dans la région de Tabarre (grand Port-au-Prince), le blessant, mais tuant sur le coup son passager, Jean Yves Dambreville, ancien militaire américain vivant dans la communauté haïtienne de Boston (Massachusetts, USA).
Jean Nesly Lucien, après le second renversement du pouvoir du président Jean-Bertrand Aristide, a été appréhendé aux Etats-Unis et condamné à la prison pour complicité dans le trafic de la drogue. En même temps que l'ex-chef de la police, plusieurs cadres de la Police nationale ainsi que de hauts officiels de l'administration Aristide ont été également condamnés pour les mêmes charges.
Plusieurs anciens commissaires de police, mais également des parlementaires. Ainsi que l'ex-premier responsable de la sécurité présidentielle de l'époque, Oriel Jean, récemment abattu en plein jour dans les rues de Port-au-Prince.
'Coopération substantielle' ...
Au centre de tout ce réseau étant un trafiquant connu et qui vivait avec faste dans le pays, avec de toute évidence la protection des plus hautes autorités. Son nom est Jacques Kétant. Extradé aux Etats-Unis, sur insistance de la justice américaine, il est condamné en 2003 à 35 ans de prison, mais sa peine a été réduite à 12 ans pour sa « coopération substantielle » avec les procureurs américains pour confondre d'autres membres du réseau. Kétant a été déporté en Haïti par l'immigration américaine une semaine avant l'agression contre Jean Nesly Lucien.
Y a-t-il rapport entre ce dernier fait et l'assassinat en mars dernier de Oriel Jean ?
MEYER, 4 Sept. – La classe politico-électorale a moins son air d'éparpillement, les camps commençant à se rassembler. Et par la force des choses. Non par volonté. Ainsi deux tentatives n'ont pas obtenu le résultat escompté. Une lancée par les politiciens André Michel et Steven Benoit, qui s'est terminée sans avoir pris une décision.
L'autre à l'actif d'un dénommé secteur protestant, a désigné comme son candidat à la présidence notre confrère Clarence Renois (parti UNIR) mais ne semble pas avoir fait l'unanimité dans ledit secteur.
Dans le même temps, les rues de la capitale retentissent du bruit des manifestations dont les réclamations se font de plus en plus une course aux enchères. Elles sont à l'actif de plusieurs partis politiques unis non seulement par leurs desiderata (annulation du premier tour des législatives qui a eu lieu le 9 Août dernier ... et démission du conseil électoral qui les a organisées) mais aussi par certains liens idéologiques, sinon sentimentaux. Tous se rattachant, y compris sur le plan personnel, au grand courant Lavalas, celui-ci ayant au fil des ans éclaté, ou plutôt fait du lest, pour donner naissance à une infinité de nouvelles formations, celles-ci animées par d'anciens barons Lavalas.
Aristide, Préval, Martelly ...
Il est vrai que c'était pendant la longue absence du pays du fondateur et leader spirituel, l'ex-curé de Saint Jean Bosco, Jean-Bertrand Aristide, condamné pendant plusieurs années à l'exil en Afrique du Sud (2004-2011).
Mais dans le même temps, Lavalas a vu partir plusieurs de ses têtes de pont, pour leur propre survie politique, parce que le président en exercice, René Préval (lui-même un ex-premier ministre d'Aristide) s'est refusé à laisser le parti de ce dernier prendre part aux compétitions électorales. Aristide est revenu en Haïti en 2011, peu avant la fin du mandat de Préval.
Par conséquent ce n'est pas seulement l'appartenance idéologico-politique qui unit les manifestants mentionnés plus haut, mais c'est aussi ... la haine de René Préval.
Qui plus est, ce dernier est revenu dans l'arène comme super-conseiller d'une nouvelle formation politique, Vérité, qui a marqué des points lors des législatives du 9 Août.
MIAMI, 15 Septembre – Le vendredi 11 septembre, pour débuter la mission du navire hôpital américain, USNS Comfort, à Carrefour, au sud de Port-au-Prince, l'ambassade des Etats-Unis avait invité quelques médecins cubains pratiquant dans le cadre de la mission médicale cubaine dans notre pays, ainsi que l'ambassadeur plénipotentiaire de la république de Cuba, Mr. Ricardo Garcia.
Mine de rien, c'était un grand jour parce que une scène impensable pendant plus d'un demi-siècle, depuis 1962 jusqu'à décembre 2014 lorsque les présidents des Etats-Unis, Barak Obama, et cubain, Raul Castro, ont annoncé leur décision réciproque de reprendre officiellement les relations diplomatiques entre ces deux redoutables ennemis de la Guerre froide ou confrontation militaro-idéologique qui a placé constamment le monde sous la menace nucléaire.
Haïti est l'un des rares pays tiers sinon le premier à jouer un tel rôle de facilitateur entre les deux ex-ennemis. En dehors du Vatican, bien sûr.
Un rôle de boite aux lettres ...
On pense que, avec de la chance, ce ne sera pas non plus la dernière fois, le rapprochement cubano-américain étant susceptible d'amener éventuellement des changements positifs dans la région.
Ce n'est pas la première fois non plus que Haïti aura joué un tel rôle de boite aux lettres entre nos deux importants voisins.
Ainsi le président René Préval nous raconta comment le président Bill Clinton s'est laissé aller un jour lors d'un sommet des chefs d'état du continent (lors moins Cuba) à exprimer une certaine admiration pour les résultats atteints par ce dernier dans le domaine de la santé publique et de la médecine préventive (mortalité infantile parmi les plus faibles au monde : 4,2 pour 1.000 ; 6,7 médecins pour 1.000 habitants alors que l'OMS se satisfait de 2,8). En même temps que la petite nation caribéenne a développé l'une des industries pharmaceutiques les plus dynamiques. Championne dans la fabrication des vaccins etc.
Evidemment Clinton souligna que ce n'est là qu'une appréciation personnelle mais qui ne doit pas fuiter à l'extérieur, sinon il serait obligé de démentir.
Mais il n'ignorait pas non plus les excellentes relations du président Préval avec les dirigeants de La Havane.