PORT-AU-PRINCE, 30 Novembre – On a l'habitude de considérer le premier ministre comme le 'fusible' qui doit sauter toutes les fois que le chef de l'Etat se trouve devant une situation difficile.
C'est le cas actuel du président Michel Martelly qui fait face à un dilemme : on le soupçonne, jusque dans la communauté internationale, de n'avoir pas organisé des élections parlementaires en retard aujourd'hui de trois ans, afin de laisser se créer un vide de pouvoir législatif, cela à partir de janvier prochain (le 12 janvier 2015 marque l'échéance de mandat du deuxième tiers du sénat, tandis que la chambre des députés devrait partir au complet), cela afin de pouvoir gouverner par décrets. C'est-à-dire avec des pouvoirs quasi-dictatoriaux.
Mais mis actuellement au pied du mur, et face à une contestation qui a fini par atteindre le monde international, le président essaie par tous les moyens de convaincre son opposition d'aller aux élections.
Tout est négociable …
Mais des sénateurs bloquent le passage de la loi électorale.
Il faut de toute évidence, et lui crie-t-on de toutes parts, jeter du lest.
Des sénateurs proches du palais national admettent que désormais tout est négociable. Sauf la Présidence …
Répondant ainsi à l'aile dure de l'opposition qui réclame le renvoi pur et simple de Martelly.
Cependant Michel Martelly a-t-il les moyens de négocier ? Même pour protéger sa Présidence !
C'est la grande question.
Autrement dit le premier ministre Laurent Lamothe peut-il partir sans entrainer la chute totale du régime ?
MEYER, 6 Décembre – Laurent Lamothe ne veut pas lâcher le pouvoir, entend-on partout.
Sollicité, y compris (semble-t-il aussi) par l’administration américaine, de se retirer pour laisser plus de liberté au président Michel Martelly pour rebattre les cartes, face à une opposition qui descend chaque jour dans les rues demandant la démission du chef de l’Etat, le premier ministre Laurent Lamothe (42 ans), le plus jeune chef du gouvernement depuis la fin de la dictature Duvalier (1986), s’accroche de toutes ses forces.
Il aurait dit : ou le président Martelly et moi nous tombons ensemble, ou c’est le Parlement qui m’a ratifié qui doit me renvoyer !
Or il existe une règle non écrite qui veut que le premier ministre soit le fusible qui doit sauter dès que le président se trouve en situation délicate.
Gagner à tous les coups ! …
Mais c’est là une convention politique. Or Laurent Lamothe se fiche de la politique. Et c’est là le problème. Il est un jeune homme d’affaires à succès égaré dans le monde (le capharnaüm) politique. Il ne pense qu’à avancer. Marquer des points. Aller de succès en succès. On se souvient du titre du livre de Bernard Tapie, qui fut en France un Laurent Lamothe des années 1990 dans le gouvernement de François Mitterrand : ‘Gagner !’
A tous les coups.
PORT-AU-PRINCE, 14 Décembre – Le premier ministre Laurent Lamothe a accepté de partir. La nouvelle a été rendue publique dans la nuit de samedi à dimanche, après une attente de plusieurs heures. Le démissionnaire aurait jusqu’au dernier moment voulu négocier les conditions de son départ mais l’envoyé spécial de Washington, Thomas Shannon, qui a séjourné dans la capitale haïtienne durant la semaine écoulée, aurait été catégorique : Dès ce lundi 15 décembre, Haïti doit commencer les contacts pour se donner un nouveau premier ministre, qui, à la tête d’un gouvernement dit de consensus, doit conduire le pays vers des élections (législatives et communales) en retard déjà de trois ans.
PORT-AU-PRINCE, 18 Décembre – Il s'en est fallu de peu que nous retombions en dictature. Aujourd'hui l'arme principale ce n'est pas la violence directe des tontons macoutes (on peut y recourir aussi éventuellement), mais le nouveau tiercé gagnant c'est la fatigue des vieux militants anti-duvaliéristes, la rage de réussite de nouvelles générations peu scrupuleuses sur les méthodes pour y parvenir et les nouvelles technologies de la communication qui permettent de contourner les médias traditionnels et leurs membres mieux rompus à la défense des libertés.
Après des jours de casse-tête, le Président de la République a choisi Evans Paul alias « Konpè Plim » - « K-Plim » pour les intimes -, afin de succéder à Laurent Lamothe qui a démissionné le 14 décembre dernier de son poste de Premier ministre. Qui est donc le nouvel homme fort de la République ? L'image qui vient à l'esprit de tout Haïtien quand on évoque le nom d'Evans Paul, c'est celle d'un homme toujours aux postes de combat contre la dictature.
Son père, Alphonse Paul, de sensibilité fignoliste, est porté disparu un beau jour de 1958. Il est élevé par sa mère, Athémise, qui ne porte pas les Duvalier dans son cœur. C'est dans cette ambiance anti-duvaliériste que grandit Evans.
Très jeune, il porte l'étendard de la révolte contre la dictature. Comme journaliste à Radio Cacique, dénonçant à mots couverts les travers du régime jeanclaudiste et comme dramaturge, protestant sur les planches avec sa troupe de théâtre Konmbit Pitit Kay (KPK) contre les exactions du système. Toujours en termes voilés, par crainte des représailles de la part des tontons-macoutes.
Le meurtre par balles de sa sœur Amenta, alors âgée de 16 ans, en 1976, ne fait que le convaincre de la justesse de son combat. Ce jour-là, à Radio Cacique, Evans Paul ne met pas de gants pour pourfendre la barbarie du système. Les sbires du régime, entendant ce jour-là sa diatribe radiophonique, n'attendent pas longtemps pour se jeter comme des fauves sur la radio. Le journaliste l'échappe de justesse.
Il vit un second drame dans la même année : l'assassinat de Gasner Raymond le 1er juin 1976, journaliste célèbre de l'hebdomadaire indépendant Le Petit Samedi Soir. Un drame qui renforce son militantisme.
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