MIAMI, 2 Juillet – Et si les choses venaient à nous dépasser. Et si dans cette course contre la montre entre deux créatures discutables autant l’une que l’autre, eh bien c’est ‘Barbecue’ qui venait à s’imposer sur l’actuel président de la république, Jovenel Moïse.
Personne n’ignore plus qui est Barbecue, pseudonyme de Jimmy Chérizier, un ex-policier qui a pris la tête d’une dizaine de gangs armés qui terrorisent depuis plusieurs années le centre-ville de la capitale haïtienne avec la promesse de faire la paix dans les quartiers qu’ils dominent et d‘y introduire le progrès.
Dans un long reportage bien que critique le journal américain The Miami Herald montre le leader de ce nouveau rassemblement intitulé ‘G9 an fanmi’ (en français ‘G9 et compagnie’) porté en triomphe dans un quartier populaire de la capitale qu’on croit être Grand-Ravine, dans les hauteurs de Martissant (sud de la capitale), tandis que ce nouveau Al Capone haïtien déclare que l’association qu’il préside n’est au service ni du régime au pouvoir (PHTK – Pati Ayisyen Tèt Kale) ni de l’opposition.
A l’entendre : ‘C’est un groupe de jeunes hommes et jeunes femmes qui ont mis leurs ressources en commun. Ici dans le ghetto, nous n’avons jamais été aidés de personne. Dites-moi s’il y a une école professionnelle au Wharf de Jérémie ? Y en a-t-il une à Ti-Bwa ? Y a-t-il un bon hôpital à Cité Soleil ? Ou à Simon Pélé ?’
L’article du Miami Herald se base plutôt sur un nouveau rapport de l’organisation de défense des droits humains RNDDH (réseau national de défense des droits humains) qui décrit les dernières exactions des gangs, en mai écoulé, dans un quartier populaire de Port-au-Prince, le Pont Rouge, avec un bilan de 33 morts et un grand nombre d’atrocités et plusieurs dizaines de maisonnettes incendiées.
Cette fois le commando avait à sa tête, oui Barbecue. Mais qui pis est, opérant sous la protection de pas moins de cinq blindés de la Police nationale d’Haïti (PNH).
En effet s’il nie toute accointance avec le pouvoir, l’ex-policier ne peut plus dire qu’il n’a pas des complicités, et pas n’importe lesquelles, au sein du corps de police dont il est d’ailleurs un retraité.
MIAMI, 11 Juillet – Lequel copie l’autre ? De Trump ou de Jovenel ? En tout cas seul le président haïtien qui ait réussi à ‘déconfiner’ son pays. Du simple fait que ses administrés soient obligés de s’y résigner.
L’aéroport international de Port-au-Prince est ouvert à nouveau au trafic international depuis deux semaines. Les compatriotes qui étaient restés bloqués à l’extérieur à cause de l’épidémie du nouveau coronavirus, s’y bousculent. Le gouvernement haïtien est menacé d’asphyxie économique et avait besoin de cet important apport en taxes.
Pendant que le président américain, de son côté, se casse la tête contre tous les murs de la Maison blanche mais son désir de ‘déconfinement’ fait partout échec, y compris là où cela avait pu commencer (comme dans l’Etat de Floride) mais voici qu’une remontée brutale de l’épidémie force à ‘confiner’ de nouveau. Or c’est un objectif important dans sa campagne en vue de l’obtention d’un second mandat aux présidentielles du 3 novembre prochain.
Faut-il en conclure que Jovenel Moïse a plus de pouvoir que Donald Trump ?
Ne riez pas !
C’est plutôt la différence entre un pays développé et un autre qui vit comme au Moyen Age, et aujourd’hui plus que jamais.
Jovenel Moïse joue sur une vieille carte haïtienne, remontant aux esclaves révoltés de Saint Domingue montant à l’assaut de la citadelle de l’armée d’occupation envoyée par Napoléon Bonaparte en 1802 aux cris de ‘Grenadiers à l’assaut, sa ki mouri zafè a yo’ (La victoire ou la mort !). Et en effet, ils ont gagné.
Mais on ne peut refaire tous les jours ‘1804’ ni vivre éternellement sur des structures moyenâgeuses.
Le président Jovenel Moïse joue l’existence même du peuple haïtien sur un coup de dé tandis que le président Trump le voudrait-il (et il en semble capable) que cela ne lui est pas permis.
Parce que les Etats-Unis c’est un grand pays, ce qui veut dire un pays non seulement développé mais doté de cadres à tous les niveaux et ceux-ci non seulement préparés mais acceptant leurs responsabilités.
Les enfants perdus d’Haïti
MIAMI, 24 Juillet – On apprend qu’une intervention de la police dans la capitale haïtienne pour disperser une activité très courue par la jeunesse pendant l’été et baptisée ‘Car Wash’ a fait un mort. C’est on ne peut plus triste et révoltant quand on ne voit pas pourquoi utiliser des armes meurtrières dans un cas aussi bénin.
Mais quand on va regarder ce qu’il y a derrière ces activités soi-disant distrayantes, on découvre un gouffre de misère morale et de vide existentiel. Ce sont des jeunes qui s’aspergent réciproquement d’eau en se déhanchant sur une musique soi-disant à la mode et baptisée ‘Rabòday’ (qui est déjà un usage abusif de l’appellation d’un vieux rythme dans le monde rural). Et tout cela en pleine rue au centre-ville de la capitale haïtienne. Ils étaient plusieurs centaines le dimanche 19 juillet écoulé quand intervint la police. D’ailleurs celle-ci pour se défendre, dit avoir été reçue à coups de feu sur les lieux. De plus l’activité venait d’être interdite précédemment par la justice, non seulement parce que contrevenant avec les dispositions prises pour combattre l’épidémie de Coronavirus (dernier bilan en Haïti : 154 morts) mais aussi, selon le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, pour son ‘immoralité.’
Toute la chose insinue en effet une sorte de bordel à ciel ouvert avec des filles qui se déhanchent de manière non pas sexy mais sexuelle, lascive.
Mais au-delà de la morale, ce qui choque le plus c’est le désoeuvrement mortel de cette jeunesse et apparemment son insensibilité d’abord aux problèmes qui affectent cruellement en premier lieu ses compatriotes.
Haïti souffre moins du Covid-19, où les dégâts sont jusqu’à présent et proportionnellement moindres qu’ailleurs et contrairement à ce que l’on pouvait craindre vu la faiblesse proverbiale du pays en services médicaux et sanitaires, mais pour le reste tous les voyants sont au rouge : insuffisance alimentaire aigue, maladies contagieuses, espérance de vie etc. En tout et partout nous sommes bons derniers.
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PORT-AU-PRINCE, 23 Août – Un officiel du gouvernement qui a pour particularité de souvent ne pas mâcher ses mots, commentait récemment lors d'une rencontre avec les patrons de presse : la Minustah est en train de faire ses bagages ; pour certaines raisons propres à eux les Etats-Unis ne sont pas intéressés à une nouvelle occupation, que nous reste-t-il alors à nous Haïtiens sinon de prendre nos responsabilités, de trouver une entente entre nous pour sauver notre pays, d'abord arrêter cette division entre fils d'une même patrie qui nous détruit. Sinon la seule issue, c'est la guerre civile ...
Sauf que, pensons-nous, les Haïtiens ne sont disposés ni à faire la paix entre eux ... ni non plus à la guerre civile.
Depuis longtemps ce pays n'est plus capable d'une demi mesure. Il faut tout reprendre à zéro. Ou presque.
Peut-on refaire le barrage hydroélectrique de Péligre ? Peut-on nettoyer le Bois de chêne, la gigantesque ravine qui traverse la capitale, sinon reprendre complètement la construction de ces œuvres.
Le poisson commence toujours à pourrir à la tête ...
Trop tard aussi pour nos rues et nos routes, aucune réparation d'importance, aucun rafistolage. Pourquoi ? Parce qu'elles sont construites à fleur de terre, à même le sol. Sans fondation, ni compactage.
Après quelques mois, tout est à refaire. Il faut de nouveaux fonds. On recommence alors à faire le siège des organismes internationaux de financement. Nos gouvernements passent tout leur temps à cela. Aussi il ne leur en reste point pour gouverner véritablement le pays. Accomplir le plus important : établir un Etat de droit. Rétablir l'autorité de l'Etat.
Comme dit le français : le ver est dans le fruit. Et le créole : le poisson commence toujours à pourrir à la tête.
PORT-AU-PRINCE, 8 Sept. – Les files interminables de réfugiés syriens débarquant en Europe de l'Ouest, avec une préférence pour l'Allemagne de la chancelière Angela Merkel, ne peuvent ne pas nous rappeler qu'il y a un peu plus d'un siècle c'est Haïti qui était l'une de leurs destinations favorites. Plusieurs milliers d'entre eux ayant été débarqués à l'époque, fin du 19e siècle, sur les côtes de pays de la Caraïbe et de l'Amérique centrale, fuyant la misère et différents troubles dans leurs pays.
On est certain que l'Allemagne ne fait pas une mauvaise affaire en leur ouvrant plus largement, et plus généreusement que les autres, ses frontières si l'on en juge par les performances réalisées dans nos pays, témoignage à la fois de la part de cette communauté d'une grande force de travail et d'un remarquable sens d'organisation. Prête aussi à faire face à l'adversité.
Beaucoup de documents dans notre Histoire en témoignent, dont le plus connu aujourd'hui est bien sûr le film intitulé 'Bord de mer', consacré à cette communauté par le réalisateur Mario Delatour.
'Bord de mer : un siècle d'immigration en Haïti' de Mario Delatour, production Amistad Films, 2005.
Dans un compte-rendu du film par notre collaborateur Hugues Saint-Fort (Août 2012), on lit : 'Vers la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l'émigration, du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d'Haïti ...
'Un pays qui a captivé les Libanais et malgré la discrimination (rencontrée), ils s'y sont établis à partir de 1880, notamment dans le quartier du Bord de Mer, à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne ainsi que par les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains.
Plusieurs d'entre eux furent expulsés ...
'De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le pays. Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent surnommés avec mépris « Arab bwèt nan do' (errant avec une boite sur le dos). Cependant grâce à un sens inné des affaires, ils ont vite commencé à gagner de l'argent et c'est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces étrangers.' Donnant lieu à toutes sortes de moqueries, telles « Arab manje koulèv » (mangeurs de serpent).