CAP-HAITIEN, 30 Juin – Une visite dans le Nord historique du pays nous plonge fatalement dans une réflexion sur la geste de nos ancêtres qui ont vaincu la plus grande force militaire de l'époque, la Grande armée napoléonienne, pour nous donner notre Indépendance nationale depuis plus de deux siècles.
Comment le pays où nous vivons (que de nouvelles statistiques viennent encore de consacrer celui du continent où l'on vit avec les revenus les plus bas) a-t-il pu donner naissance à des Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henry Christophe, Capois-la-Mort etc ?
Où Toussaint a-t-il tiré le génie qui lui a permis de doubler toutes les puissances de l'époque (l'Espagne, l'Angleterre et la France) pour devenir Gouverneur général à vie de Saint-Domingue ... avant sa trahison par la France où il finira sa vie dans un geôle triste et froid ?
Où Dessalines a-t-il appris l'art du commandement sans avoir fait Saint-Cyr ou Sandhurst ou autre grande école militaire européenne ?
Où Capois a-t-il puisé cette bravoure digne seulement des héros de l'Antiquité ?
Et au pied de la Citadelle qui porte son nom, Henry Christophe, ce roi pour l'éternité, seul le silence qui convient.
Insouciance vis-à-vis des témoignages de l'histoire nationale ...
Quelle différence entre Capois-la-Mort, le 18 Novembre 1803, à la Bataille de Vertières et Achille devant les murs de Troie, sinon que Achille est un héros de légende, et non pas Capois !
Or pourquoi le jeune haïtien n'a-t-il pas pour Capois les mêmes yeux que pour Achille ?
Parce que le cinéma haïtien n'a pas encore atteint ces dimensions-là, me direz-vous.
Ces pensées vous viennent au vu de la presqu'indifférence, du manque de souci éternel de l'Haïtien vis-à-vis des témoignages de l'histoire nationale : sites abandonnés ou disparus de vue depuis longtemps, monuments profanés, jusqu'à celui de Vertières dont on a déjà cassé plus d'une fois le sabre de Capois, etc.
Et qui évacue les vraies forces politiques du pays
PORT-AU-PRINCE, 15 Juillet – Aujourd'hui nous voici à un stade que l'on pourrait appeler l'auto-déstabilisation.
En 1987, pour faire échouer les premières élections démocratiques, il y avait l'armée encore d'essence duvaliériste. Ce fut facile. On massacre en plein jour, le matin même du 29 novembre 1987, et le tour est joué.
En 1991, pour abattre le premier gouvernement démocratiquement élu, après seulement six mois en fonction, il a fallu engager des mercenaires. Ce fut le major Michel François et ses commandos de trafiquants de drogue.
En 2004, l'opposition locale fut mise plus directement à profit. Le régime Aristide fit face à une levée de boucliers comprenant l'élite économique et une frange des classes moyennes, mais exceptionnellement aussi les étudiants de plusieurs facultés publiques (Sciences humaines, Droit etc).
Ces derniers ne tardèrent cependant point à réaliser qu'ils n'avaient servi eux aussi que comme hommes de main.
Tout comme il n'a pas été permis aux généraux et colonels de 1991 de garder le pouvoir (les Marines débarquèrent 3 années plus tard, en septembre 1994, pour chasser la junte militaire et réinstaller Aristide mais pour pas plus d'une année d'exercice du pouvoir), en 2004 telle ne fut pas la surprise des secteurs insurrectionnels de voir parachuter depuis la Floride un premier ministre intérimaire Gérard Latortue n'ayant de comptes à rendre qu'à ses patrons du Département d'Etat américain.
Déstabilisation sui generis ...
Aujourd'hui encore le pays se trouve dans une autre situation critique et ouverte à toutes les aventures, et avec encore une fois une nouvelle particularité.
Cette fois la déstabilisation est issue des forces en présence elles-mêmes. Déstabilisation sui generis. Il n'est pas besoin d'intervenir dans le bourbier haïtien pour que celui-ci se désintègre de lui-même. C'est une nouvelle étape dans le même processus d'occupation sans occupation !
MEYER, 29 Juillet – Il ne suffit pas de mettre fin à la mauvaise autorité. Il faut la remplacer par une autre.
Voilà le piège dans lequel est tombée notre Haïti.
Nous avons célébré la fin de la dictature (1986). Mais nous n'avons jamais remplacé l'autorité qu'elle incarnait MAL par une autre version positive. Comme les deux facettes d'un médaillon. Nous avons laissé le terrain vide.
Mais le pire est que pour rétablir l'ordre normal des choses, il faudra revenir à l'autoritarisme.
Et que le plus longtemps on continuera d'attendre, plus dure sera la chute.
Ainsi va-t-on d'étonnement en étonnement. La semaine dernière un responsable de banque, homme de bonne foi, a déclaré qu'ils font le maximum pour protéger le client à l'intérieur de leurs locaux mais que dès que celui-ci est dans la rue c'est aux responsables de l'ordre de le prendre en charge.
Normal.
Cependant ces derniers décident-ils de mettre de l'ordre dans la circulation des taxis motos, moyen utilisé pour commettre la presque totalité des assassinats, que ces derniers se rebellent et organisent des manifestations de protestation.
Pouvoir basé sur l'intimidation et le chantage ...
Les taxi motos sont l'archétype, le modèle parfait du phénomène dont nous parlons : la disparition de l'autorité de l'Etat dans une dispersion totale, une dilution dans l'espace social, jusqu'au plus bas, en une multitude de pouvoirs plus que locaux, individuels.
Pour les taxi motos c'est le nombre qui fait la différence, une multiplication à vue d'œil et sans contrôle à travers tout le pays.
Dès lors c'est le pouvoir du nombre. Tous pour un, un pour tous. Malheur au conducteur de véhicule, ou même le simple piéton, qui entre en contravention avec un seul d'entre eux.
En un clin d'œil ils débarquent tous sur les lieux. Solidaires comme pas un. C'est un pouvoir basé donc sur l'intimidation et le chantage. Or en dehors de la capitale, la police nationale, en trop petit nombre, ne peut pas faire face.
JACMEL, 7 Août – Cuba se prépare à recevoir pas moins de 7 millions de touristes à partir de 2017.
La population cubaine s'élève (en 2015) à moins de 12 millions d'habitants. Avec un processus de dénatalité due aussi bien à la migration qu'au contrôle des naissances.
Haïti peut-elle tirer quelque chose du pactole cubain ? Le pays dont nous sommes le plus proche, avec les Etats-Unis (Key West est à un doigt de mer des côtes cubaines). C'est d'ailleurs de ce dernier (les Etats-Unis) que devrait partir un fort contingent de ces touristes avec la réconciliation en cours entre ces deux anciens ennemis de la Guerre froide – celle-ci ayant pris fin en 1989 (avec la chute du Mur de Berlin).
Actuellement les autorités haïtiennes pensent à des dispositions qui pourraient permettre d'attirer les nouveaux visiteurs de Cuba à prolonger leur séjour dans la région en faisant un crochet par nos sites locaux (le grand Nord avec la Citadelle, la Côte des Arcadins etc).
Mais c'est encore loin de la réalité. Comparé aussi avec la grande extension déjà prise dans ce domaine par notre voisine, celle avec laquelle nous partageons la même île, la République dominicaine.
Tout importer des Etats-Unis ? ...
Non, Haïti devrait chercher ailleurs. Il y a des opportunités probablement plus intéressantes. Comment Cuba va-t-il alimenter (traduisez en produits alimentaires) ce pas de géant qu'il est en train de faire ?
Va-t-il faire comme les Bahamas ? Tout importer des Etats-Unis. Du poisson frais, alors que les Bahamas sont un chapelet d'île, et jusqu'à l'eau de lessive ?
C'est à ce niveau que Haïti devrait peut-être penser à une collaboration effective pour participer à la nouvelle expérience cubaine.
D'autant que l'actuel pouvoir cubain (vu aussi les relations que nous avons développé avec le pays des frères Castro ces dernières décennies, et aussi avec le peuple cubain à travers les missions de coopération médicale et autres) ne demanderait sans doute pas mieux.
MIAMI, 14 Août – Se tient en ce moment à Miami une exposition consacrée au peintre Jean-Michel Basquiat.
Une de plus, direz vous, Basquiat étant devenu le nom le plus célébré de la peinture moderne. A New York, Paris comme Miami.
Et dans les ateliers d'art dans une ville haïtienne comme Jacmel, où on essaie souvent d'identifier sa parenté avec les artistes locaux.
Normal. Jean-Michel Basquiat est le fils d'un Haïtien, Gérard Basquiat, et d'une mère d'ascendance portoricaine mais disparue son futur génie de fils avait à peine 8 ans.
Ce dernier disparaitra de son côté à 27 ans. En pleine gloire. Comme d'autres météores célèbres. Et croit-on, d'une overdose.
Mais à peine si l'exposition rappelle l'état civil de l'artiste.
Gotham ...
Jean-Michel Basquiat est un gamin de New York. La mégapole américaine, le Gotham des bandes dessinées de la série Batman, est la source de son œuvre, dont il tire la matière partout, dans les rues des quartiers prolétaires où a vécu la diaspora haïtienne des années 1960-1970, dans les affiches publicitaires et les néons (parenté avec le seigneur du pop art, Andy Warhol, celui qui a porté les boites de soupe Campbell à la hauteur de l'art et qui deviendra un mécène incontournable pour le jeune créateur) etc.