PORT-AU-PRINCE, 20 Août – De toutes façons l’opposition n’a jamais travaillé dans l’union. Et cela de toute l’Histoire de notre pays.
Sans remonter jusqu’à la période d’avant l’occupation américaine où le pays avait un nouveau gouvernement tous les six mois (Roger Gaillard, ‘Le temps des baïonnettes’), en passant par la lutte les armes à la main entre les deux seuls partis dont les noms ont mérité d’être retenus : le parti National et le parti Libéral mais qui reflétaient plus sûrement la ligne de partage entre les deux élites noire et mulâtre, le premier exemple le plus proche de nous c’est la longue et brutale campagne électorale de 1957, après la chute du gouvernement militaire du président-général Paul Eugène Magloire.
Ce dernier n’était pas parti de son plein gré – comme d’habitude. S’ensuit une succession interminable de gouvernements provisoires, chacun des grands candidats à la présidence essayant de se saisir lui-même des commandes pour mieux assurer sa victoire. A lui seul.
Le pays manqua de tomber plus d’une fois dans la guerre civile. Finalement Duvalier, plus malin que les autres, un ‘animal politique’ avant la lettre, put jouer tout le monde, les uns contre les autres, y compris l’armée qui devait assurer la balance comme l’avait conçu l’occupant américain de 1915-1934, et ce fut Papa Doc, 29 ans de pouvoir incontestable et quasi incontesté.
Jusqu’au renversement de Baby Doc le 7 février 1986.
Mais que se passa-t-il entre-temps ? Serait-ce qu’il a été réellement impossible de renverser la dictature trentenaire des Duvalier ?
Notre profession de journaliste nous a permis de nous rapprocher plus ou moins de ce perpétuel jeu de massacre qui s’appelle l’opposition politique en Haïti.
Eh bien ce qui se passe aujourd’hui n’a rien d’étonnant. Qu’un président totalement dépourvu comme l’actuel chef de l’Etat Jovenel Moïse arrive à tenir dans son fauteuil malgré les vociférations quotidiennes de son opposition, n’a rien de nouveau. Les présidents d’Haïti se maintiennent au pouvoir non par leurs réalisations à la tête du pays, mais depuis toujours grâce à une opposition qui n’arrive jamais à s’entendre sur le partage du (futur) gâteau.
Ce n’est pas les Etats-Unis où, par exemple, vous avez aujourd’hui une vingtaine de candidats à l’investiture Démocrate, oui plus de vingt qui se battent avec acharnement pour devenir le candidat qui représentera le parti Démocrate lors des présidentielles de Novembre 2020 ... mais le mot ‘qui se battent’ ne doit pas être pris au sens propre, on se bat pour prouver qu’on est le meilleur mais on ne se bat pas pour empêcher qu’aucun ne remporte la victoire. Ni pour empêcher la tenue même des élections ; comme quoi si le vainqueur doit être un autre que moi, eh bien que le pays cesse de fonctionner …
Papa Doc jouait sur cette faiblesse de l’opposition haïtienne en créant lui-même des candidats à la présidence ...
Et pour finir, tant pis si celui qui occupe le fauteuil continue d’y rester, tant que le gagnant ce n’est pas moi.
PORT-AU-PRINCE, 28 Août – En Haïti le linge sale ne se lave plus en famille.
On en veut différentes preuves au même moment.
C’est d’abord le sénateur Joseph Lambert ne cachant pas les raisons de son ‘divorce’ d’avec le président de la république Jovenel Moïse.
Ce dernier après lui avoir promis le poste de premier ministre lui aurait faussé compagnie à deux reprises : d’abord après les émeutes de juillet 2018 en lui préférant le notaire Jean Henry Céant, puis récemment en nommant Fritz William Michel qui attend encore la ratification du Parlement.
Mais trop c’est trop, dit Jo Lambert, tournant publiquement, et officiellement, le dos au chef de l’Etat. Avec les conséquences qui s’ensuivent.
Mais il y a eu un précédent, c’est l’ouvrage publié sur l’administration Céant pendant ses six mois à la Primature par deux de ses collaborateurs, au titre tout de suite évocateur : ‘Toutouni’ (en français : tout nu !).
Les feuilles de vigne désormais envoyées par-dessus les moulins, voici, selon les deux jeunes auteurs Pascal Adrien et Jorchemy Jean-Baptiste, respectivement ex-porte-parole et ex-directeur de cabinet, voici tous les dessous de table mis sur le tapis. Y compris à l’endroit des chefs de gang. L’ex-premier ministre Céant a dû se justifier d’un entretien au téléphone avec le plus fameux de ces derniers, Arnel Joseph.
Mais le pouvoir actuel ne finit pas d’inspirer cette interminable chronique des chiens écrasés. Même des hebdomadaires jusqu’ici sérieux qui s’y mettent. Lisez cette semaine dans Haïti en Marche (plutôt le numéro précédent, celui du 28 Août dernier) : ‘Les vraies raisons de la défection de Joseph Lambert et les (autres) départs annoncés’, (oyez plutôt) : ‘De Rudy Hérivaux, en passant par Guichard Doré et Liné Balthazar, tous estiment que le président Jovenel Moïse a un comportement raciste et ingrat. (…) Un nègre ‘à cheveux poivre’ qui se prend pour un grand bourgeois syrien. Jovenel Moïse n’écoute pas les conseils de ces messieurs mais quand il est en difficulté c’est eux qu’il envoie le défendre dans la presse. Tous ces conseillers n’ont pas le courage de Joseph Lambert pour passer dans l’opposition … Ils souffrent en silence.’
Ajoutant plus loin (après d’autres considérations encore plus personnelles mais dont nous vous faisons grâce) : ‘Jovenel Moïse ne tient pas sa parole et ses promesses quand il s’agit des alliés noirs de la classe moyenne et « tèt grenn ». Il les roule dans la farine sans aucune exception, comme de vulgaires imbéciles …’.
PORT-AU-PRINCE, 3 Septembre – Si c’est l’ancienne élite qui était au pouvoir en ce moment, on aurait tôt fait de l’accuser de continuer à piller le pays comme elle l’a fait, comme on aime à dire, depuis l’assassinat de l’Empereur Dessalines le 17 octobre 1806.
Si c’était l’autre élite, celle issue de ce qu’on appelle la Révolution de 1946, le Noirisme, mais qui préfère l’épithète de La Classe, on l’aurait également clouée au pilori : ces bourgeois noirs ! Du pareil au même. ‘Menm man parèy man.’
Si c’était les descendants des immigrants venus de tous les coins du monde, du temps où c’est Haïti qui ouvrait tout grands les bras au monde entier, on aurait dénoncé disons les métèques. ‘Rentrez chez vous’, comme dit l’autre ! Pays Dessalines etc.
Enfin si nos dirigeants d’aujourd’hui étaient majoritairement rentrés de la Diaspora, on les aurait vite stigmatisés. ‘Machann peyi, va’ etc.
Or on n’entend rien de tout ça.
Alors que rien ne marche. Le pays est pour la première fois - depuis peut-être les premières années du régime Duvalier, quand Kennedy avait mis sous embargo la dictature naissante de Papa Doc - aussi totalement sur la dèche, mal en point.
Vive le PHTK, et passons la monnaie ...
Plus que sous la dictature officielle, nous voici sous la coupe d’une nouvelle dictature qu’on dirait pire encore, celle des gangs armés.
La seule chose qui marche : c’est la corruption.
Vive le PHTK, et passons la monnaie.
En dehors de la corruption, point de salut.
PORT-AU-PRINCE, 13 Septembre – Il ressort d’un rapport de la Police judiciaire (DCPJ, Police nationale d’Haïti (25 juillet 2019), que des gangsters se déguisent en policiers pour commettre leurs forfaits.
Nous lisons : 14 mars 2019, lors de l’enlèvement de Jean Neel Michel, ‘alors qu’il revenait de son entreprise … sise à Gressier, à bord de son véhicule Daihatsu Terios, de couleur blanche, un véhicule de marque Nissan, type Pathfinder de couleur rouge, occupé par des hommes cagoulés dont certains vêtus d’un uniforme apparenté à celui de la BOID, a croisé sa route.
‘Les bandits ont pris le contrôle de sa voiture ainsi que son pistolet de calibre 40 et de marque Gluck’ …
Comment réagissez-vous quand au volant vous êtes arrêtés par des policiers ?
Vous vous arrêtez évidemment sans aucune crainte.
Or voilà que, comme il ressort du rapport de la police judiciaire (circulant en ce moment sur l’internet) il se peut que ce soit des gangsters qui se déguisent en policiers pour éviter vos soupçons.
C’est là quelque chose de très grave.
Et nous pensons que c’est aux autorités elles-mêmes d’y apporter sans tarder une solution.
Comme avoir, peut-être, un numéro de code (sorte de 911) que toute personne peut appeler automatiquement s’il a des doutes sur l’identité des policiers en question.
Première observation : ne sortez pas sans votre téléphone.
Oui c’est une affaire grave. On ne peut laisser la population aller à la boucherie vu les libertés qu’ont pris les gangs armés sur tout le pays.
Vu aussi les complicités dont ils bénéficient.
Le même rapport de la police judiciaire signale aussi des dispositions qui ont été prises par la police elle-même contre des renégats pouvant surgir dans ses rangs.
C’est le cas de l’’Inspecteur Principal Gabriel Faveur Désir, interpellé par l’Inspection Générale de la Police Nationale puis transféré à la DCPJ pour avoir eu des communications fréquentes avec le chef de gang Arnel Joseph. Lors de cette audition, l’inspecteur a confirmé que le nommé Arnel Joseph détient deux numéros de téléphone, les 3854-9524 et 4889-7612, à partir desquels ils avaient l’habitude de s’entretenir en tant que riverains et propriétaires dans la même zone.
JACMEL, 20 Septembre – Si Justin Trudeau avait été premier ministre en Haïti il aurait pu se déguiser comme il veut que cela ne ferait de mal à personne.
Nous avons hérité nous peuple haïtien d’une culture ouverte sur l’universel et qui réconcilie toutes les contradictions ou presque. Au point que beaucoup de phénomènes qui paraissent de plus en plus choquants dans une société, surtout à l’occidentale, aujourd’hui plus sensible aux rapports humains, en Haïti si l’on peut dire cela glisse sur notre cuirasse.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, est au centre d’un scandale. Sous le titre : ‘Trudeau rattrapé par une vieille photo de ‘blackface’ on lit : Justin Trudeau a présenté mercredi ses « profondes excuses » pour s’être maquillé le visage en noir lors d’une soirée déguisée en 2001, quelques heures après la publication d’une photo embarrassante qui pourrait brouiller l’image du Premier ministre sortant, à un mois des législatives.
‘C’est quelque chose que je ne considérais pas comme raciste à l’époque, mais je reconnais aujourd’hui que c’était raciste et j’en suis profondément désolé’ réagit, l’air contrit, le candidat libéral.’
Plus loin, poursuit l’AFP, ‘Les principaux adversaires de Justin Trudeau pour les législatives du 21 octobre ont immédiatement réagi, mettant en doute la personnalité profonde du Premier ministre sortant qui cultive une image d’ouverture et de tolérance.’
Mais surprise, les principaux défenseurs du Premier ministre canadien se révèlent l’état major de La Ligue des Noirs du Québec.
‘La Ligue estime que les personnes qui critiquent le chef du parti Libéral pour les images passées où on le voit en ‘brownface’ « nagent dans un bassin d’hypocrisie, car eux n’ont rien fait pour promouvoir l’intérêt de la communauté noire et culturelle. »
‘Si vous regardez son cabinet, poursuit la note de La Ligue des Noirs, vous constatez qu’il (Trudeau) a toutes sortes de gens de différentes couleurs, qu’il n’a jamais eu de problèmes avec ça. Les leaders qui critiquent M. Trudeau le font véritablement pour obtenir un avantage politique.’
Un étranger blanc qui viendrait jouer les racistes chez nous, s’il pouvait savoir combien on rit de lui il se mettrait vite à l’école de la tolérance haïtienne, unique au monde.
En tout cas, si en Haïti nous avons tant de problèmes et de tous les genres, c’est d’accord mais en voici un qui au moins n’existe pas chez nous.
Les malheurs de Justin Trudeau nous font rire en Haïti, pays où l’on s’amuse, culturellement parlant, de tout ce qui a pu exister de toute l’histoire du monde et qui puisse être considéré aujourd’hui comme choquant.